Editorial Vignovin - Octobre 2018
D’ici 10 ans, le métier de viticulteur aura complètement changé grâce à la multiplication des objets interconnectés, l’intelligence artificielle, les machines autonomes et la vente en ligne. Nous ne produirons plus jamais comme avant.
Aujourd’hui, tout viticulteur qui se respecte garde les yeux rivés sur son smartphone pour suivre les prévisions météo. En trois clics, le service l’informe d’une pluie vers 15 heures dans trois jours. Branle-bas de combat au domaine pour préparer les traitements.
Digitalisation totale
Derrière cette météo précise et personnalisée, qui n’existait pas il y a encore quelques années, se cache le monde du numérique qui va bouleverser tous les domaines de la vie courante, personnelle, professionnelle et notamment la viticulture. Pour la météo, des capteurs disposés partout dans le monde scrutent les températures, l’humidité, la vitesse du vent... Des ordinateurs aux puissances de calculs phénoménales recueillent ces données, les analysent, les comparent avec les phénomènes météorologiques précédents. Un algorithme permet d’annoncer dans chaque commune quand tombera l’orage, la température et à quelle vitesse soufflera le vent. Demain, des solutions digitales similaires toucheront tous les domaines.
100 milliards d’objets connectés
Dès 2025, les experts estiment que la planète comptera déjà 100 milliards d’objets connectés. L’industrie, puis la logistique en seront les plus gros utilisateurs. La voiture autonome devrait circuler en toute sécurité. Déjà, des négociants pour l’export, des domaines et demain, des appellations, utilisent des étiquettes qui permettent l’authentification et la traçabilité des bouteilles. La viticulture ne sera pas en reste. Capteurs dans les vignes, dans les chais, imagerie satellites et de drones, échanges de données professionnelles, traçage des marchandises transportées en temps réel, connexion avec le logiciel de comptabilité, de gestion des clients, suivi des mercuriales… donneront au producteur toutes les informations synthétisées pour assurer les meilleures récoltes et vinifications pour un coût optimisé.
Du prédictif au prescriptif
Le pilotage du domaine est passé progressivement d’une gestion curative où il fallait sauver la récolte suite aux intempéries, à des pratiques préventives mais coûteuses en intrants et maintenance. Des outils comme la météo lui permettent désormais une gestion prédictive. Demain, les outils intelligents et connectés permettront une gestion prescriptive personnalisée. Libre au viticulteur de les suivre ou pas. Mieux, avec l’intelligence artificielle, la machine enrichit en permanence ses propres connaissances pour donner des prédictions toujours plus opportunes.
Demain, le viticulteur ne pourra plus se séparer de sa tablette qui affiche des histogrammes personnalisés qui schématiseront les données qui l’intéressent comme le développe déjà la startup Usitab. Tout ce qu’il y verra et cliquera sur son écran tactile sera enregistré sur son cloud, assurera sa traçabilité et son assurance qualité. Les logiciels communiqueront entre eux comme les hommes sur les réseaux sociaux. C’est déjà le cas dans les usines baptisées 4.0.
Economiser la ressource
Les capteurs couplés à la météo lui indiqueront quand traiter avec le bon produit, au bon prix, avec la quantité minimum. Pendant la vinification, d’autres IOT (internet on things) lui proposeront les soutirages, la thermorégulation ou l’emploi optimisé des coûteux enzymes, bactéries et autres levures. L’imagerie rapportée par les drones prévient déjà le stress hydrique des vignes, la maturité des raisins et commence à détecter la quantité d’humus, la flavescence dorée et autres maladies et ravageurs. Des robots autonomes, pilotés par GPS, sillonneront les vignes pour assurer les missions de désherbage, de sarclage, de plantations, de pulvérisation et peut-être un jour de coupe des sarments, voire les vendanges. D’après le ministère de l’Agriculture, le viticulteur, certes plus informé et autonome, restera toujours dans ses vignes et près de ses chais.
Formation en ligne
Pendant les périodes creuses de l’année, les viticulteurs pourront se former en ligne avec des Mooc (vidéo pédagogiques), des quizz pour mesurer leurs connaissances, des ateliers virtuels de management de projets collaboratifs avec d’autres producteurs en ligne. Depuis cette année, l’Etat finance l’éclosion de la formation continue digitale pour les 10 ans qui viennent via le Plan d’Investissement d’Avenir (PIA3). Les outils à réalité augmentée offriront des films et images avec toutes les informations complémentaires accessibles en un clic. Des outils de formation utilisant la réalité virtuelle permettront de se plonger en situation avec des lunettes 3 D, des écouteurs et des manettes. Ces solutions commencent à se déployer dans plusieurs entreprises de l’agroalimentaire des Hauts de France depuis septembre 2018.
Maintenance en direct
Pour la maintenance et la réparation des machines, le viticulteur équipé d’un smartphone en vision conférence suivra les indications du technicien à distance. Avec des lunettes à réalité augmentée, il gardera ses deux mains libres. Le technicien, visualisant les opérations en direct, pourra envoyer des préconisations dans les écouteurs et projetées sur les verres des lunettes.
Création de valeur
Mais surtout, les domaines viticoles vont pouvoir se réapproprier la chaine de valeur. Le Centre d’Etudes et de Prospective décrit un consommateur actuel toujours plus désireux de produits singuliers, naturels, chargés de sens, en circuits courts, commandés sur internet et livrés rapidement chez lui. En mettant ses bouteilles en ligne, le viticulteur pourra accéder directement à son client. En sachant utiliser habilement les réseaux sociaux, certains accroissent aujourd’hui leur notoriété dopent leurs ventes, augmentent leurs marges en limitant leur recours aux intermédiaires. Une grosse coopérative du Sud-Est compte prochainement mettre certains de ses stocks en ligne et à la vente pour qu’ils soient acquis d’un clic par des négociants ou des distributeurs.
Balbutiements de l’enseignement
Reste qu’aujourd’hui, l’enseignement et la formation s’éveillent tout juste à la dimension numérique comme l’a révélé le séminaire de septembre dernier du Campus des métiers et qualifications Agrosciences, Agroalimentaire et Alimentation (Campus 3A). Cette entité universitaire se charge de rapprocher enseignants, formateurs et professionnels pour favoriser l’employabilité. L’enjeu est immense. L’union de coopératives In Vivo lance, pour sa part, les « 1000 fermes numériques ». Dans son rapport sur l’intelligence artificielle, le député Cédric Villani, préconise de faire de la France le pays un « leader de l’agriculture augmentée ». Le vin n’en sera que plus délicieux.
Emmanuel Brugvin